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Quand je serai grande

Sunday, March 14th, 2010

j’ai eu plusieurs projections de moi en grande personne. je me suis vue tour à tour écrivaine (je ne voulais pas être écrivain attention), avocate, journaliste, cuisinière, que sais-je.

d’indolence en nonchalance, de hamac en désinvolture, de Lafargue en Bouvier, de chaussette en casquette et de narguilé en végétarisme (une forte carence en fer pourrait tout expliquer), j’ai fini pas grand chose. j’ai pas fini grand chose non plus d’ailleurs. j’ai surtout fini moi-même en fait ; c’est déjà pas si mal, je suis pas 100% satisfaite mais je ne me rembourserais pour pas grand chose au monde.

je ne sais pas trop à quel moment exactement ça m’est apparu mais avec le recul je crois que c’était là depuis longtemps (on dirait un témoignage de transsexuelle), toujours est-il que j’ai un peu décidé de ne pas devenir grand chose, confirmant la pente pour le moins déviante que prenait ma vie.

tout ça pour dire qu’en ce moment pour gagner de l’argent en plus de mes recherches occasionnelles dans diverses archives, et j’en développe un goût pour les rapports des renseignements des années 1910, je suis devenue consultante (vous emballez pas, ça veut juste dire précaire) en évaluation de moteur de recherche. en gros, je vois passer une centaine de pages internet par heure et je dois dire s’il s’agit de spam ou pas. je travaille mollement, armée d’un thé, planquée sous ma couverture à manches. c’est plutôt bien payé et je ne subis aucun/e collègue passionné/e par l’archéologie nasale. je peux travailler de n’importe où, n’importe quand. c’est comme ça que j’ai la chance de découvrir chaque jour de nouvelles perversions. et de voir beaucoup plus de bites que dans ma vie normale.

mais la plus grosse perversion sur laquelle je suis tombée n’est pas sexuelle. le pire truc que j’ai vu, c’est ça :

oh alors ça n’a l’air de rien comme ça, mais cette tomate en feutrine qui est arrivée après un artichaut en feutrine, un poireau en laine, une tranche de citron en feutrine, des champignons en feutrine et des fraises en feutrine m’a plongée dans un grand vide métaphysique.

je partage.

il y a eu l’invention du binaire, la miniaturisation des ordinateurs, la création du web, la démocratisation de l’internet, le mouvement du logiciel libre, le deupoinzéro, le blog clef en main, des dizaines d’années de féminisme. et puis un jour, une femme que j’espère désœuvrée a la grandiose idée de coudre de faux légumes.

alors je m’interroge. est-ce vraiment une bonne chose de pouvoir communiquer sur tout et n’importe quoi ? parce qu’avant, la tarée du potager artificiel travaillait isolée. elle finissait peut-être/probablement par s’épuiser et passait à autre chose. maintenant, elle se trouve des super copines virtuelles aussi passionnée qu’elle par le cartonnage et le fil à broder. elles s’entre-encouragent dans leur vice. car oui je l’écris haut et fort, le légume en feutrine est un vice. je ne sais comment une telle idée pourrait germer dans un esprit sain.

depuis, je ne sais pas, je ne sais plus. ma réalité, déjà fort instable, est devenue franchement inquiétante.

alors finalement quand je serai grande, pour échapper à la couture, je serai ça :